Sélection du Reader’s Digest du 18 octobre 2012 – par Claudine Colozzi
(voir l’article original)
Maïta Dubois et son équipe médicale soignent gratuitement des gens en situation de grande précarité, exclus du système de santé.

Photo: ©Signatures/Florence Brochoire
Porte d’Arras, un quartier du sud de Lille. Entassées sur un immense terrain vague, plus de 140 familles de Roms vivent sans sanitaires ni électricité dans des baraques faites de morceaux de tôle, de bois et de bâches en plastique.
Il est 9 heures et, sous une pluie
fine et tenace, une vingtaine de personnes se sont massées bruyamment autour du bus médico-social garé
à l’entrée du campement. Après la mise en route du groupe électrogène, Maïta Dubois, 59 ans, déploie à présent toute son énergie pour abaisser l’auvent en toile beige.
« Viens te mettre à l’abri ! »,
crie-t-elle à une jeune femme qui serre contre elle un nourrisson tout
emmailloté dans une couverture blanche à grosses fleurs.
« Febra, febra… », implore celle-ci, paniquée, en posant la main sur le front de son bébé, qui garde les yeux fermés. Maïta Dubois ouvre les mains comme si elle lisait un livre, dans l’espoir de se faire comprendre.
« Tu as apporté son carnet de santé ? » Lulia sort de la poche
de sa jupe bariolée un certificat de naissance plié en huit, seul papier officiel concernant Sorina, sa fille âgée de 6 semaines à peine. D’après une voisine, la petite ne s’alimente plus depuis la veille.
« Reste là, lui dit Maïta d’une
voix rassurante. La pédiatre va te
recevoir en priorité… Suivant, s’il vous plaît ! » Aujourd’hui encore, au vu de la file d’attente qui s’allonge devant le bus, Maïta sait déjà qu’il lui faudra refuser du monde…
Maïta Dubois est infirmière et bénévole pour l’association Médecins Solidarité Lille (MSL),
un centre médico-social qu’elle
a cofondé en 1995 et dont elle est présidente. Sa mission : proposer des consultations gratuites, sans rendez-vous, à des personnes ayant des difficultés d’accès aux soins : étrangers en situation irrégulière ou sans papiers, demandeurs d’asile, sans-abri, jeunes en rupture familiale, toxicomanes… « S’ils n’ont
aucune couverture sociale, c’est souvent par ignorance de leurs droits, explique Maïta Dubois. Avant qu’ils voient un médecin, nous leur faisons systématiquement passer un entretien avec l’un de nos deux assistants sociaux. » Histoire de faire le point sur leur cas et de leur permettre
de se réinsérer rapidement dans le
système de santé de droit commun. Chaque année, l’association traite plus de 2 000 patients de 70 nationalités différentes issues de l’Union européenne — Roumanie, Bulgarie, Pologne… —, du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, d’Asie… « La barrière de la langue est un obstacle majeur qui affecte la qualité de la consultation », déplore le Dr Alice Mathieu, 30 ans, médecin généraliste salarié. En effet, près d’un tiers des patients — principalement les familles de Roms — ne parlent pas le français.
Ouvert du lundi au vendredi, de 9 heures à 17 heures, le dispensaire installé dans le quartier de Lille-Moulins fonctionne grâce à une équipe de cinq salariés (médecins
et assistants sociaux) et à une vingtaine de bénévoles (généralistes, gynécologues, infirmières, pharmaciens, psychologues, psychiatres…) assurant des vacations à tour de
rôle. « Selon les cas, les patients sont traités sur place ou orientés vers une consultation hospitalière spécialisée au sein d’hôpitaux
partenaires, dont le CHRU de Lille », précise Maïta. Les médecins sont globalement confrontés aux mêmes pathologies qu’en cabinet (problèmes ORL, affections dermatologiques, troubles psychiatriques…). Seule différence : un stade plus avancé dans la maladie, faute
de soins précoces. Comme cette jeune femme russe enceinte de six mois qui n’avait jamais été vue par un gynécologue depuis le début de sa grossesse ! Elle s’est présentée la première fois au centre un jour
de novembre, avec ses deux enfants de 4 et 6 ans et, pour seuls bagages, deux sacs en plastique. « Depuis cinq ans, par manque
de personnel ou de temps pour les consultations, nous ne pouvons traiter qu’une vingtaine de personnes par jour et refusons parfois du monde dès l’ouverture des
portes, s’enflamme Maïta. Mais pas
question de baisser les bras ! »
Lorsqu’en 1995 MSF ferme son antenne lilloise, Maïta décide de créer une association avec trois médecins afin de continuer d’accueillir les plus démunis. Le centre médico-social de MSL ouvre ses portes en novembre 1995 avec le soutien de la DDASS, de la Ville de Lille et de donateurs privés. « Au fil des années, cet engagement est devenu le moteur de ma vie », avoue Maïta. En septembre 2010, l’afflux de Roms au dispensaire pousse l’association à mettre en place un bus médico-social afin de leur dispenser des soins deux à trois fois par semaine sur les lieux mêmes des campements. « En surfant sur Internet, j’ai déniché ce véhicule d’occasion à 3 000 euros, raconte Maïta. Nous l’avons entièrement transformé en cabinet médical grâce à des dons s’élevant à 45 000 euros. »
Salariés et bénévoles se relaient sans relâche autour de Maïta pour soulager le sort de ces personnes démunies. Et même si le sentiment d’être utile lui donne des ailes, l’équipe aimerait pouvoir résoudre d’autres difficultés. « Nous sommes sans cesse confrontés aux limites de l’aide que nous apportons, soupire
le Dr Marie-Laure Frys, médecin coordinatrice de MSL. Le problème majeur, qui dépasse bien souvent celui de la santé, est l’hébergement le soir même de la consultation. »
De son côté, Maïta s’emploie
à trouver un dentiste salarié qui
relancerait la consultation dentaire interrompue depuis près d’un an avec le départ du
précédent praticien. « Comment voulez-vous trouver un emploi avec des dents en mauvais état? », s’inquiète-t-elle,
pragmatique jusqu’au bout. Elle souhaiterait aussi pouvoir
engager un directeur de structure qui l’aiderait à faire tourner l’association… Il est midi. Le bus blanc va
bientôt repartir, et Maïta invite ceux qui n’ont pu être soignés durant la
matinée à se rendre au centre médico-social. La jeune Lilia, elle, est repartie avec son bébé. Un peu de paracétamol, beaucoup d’écoute et de respect, il n’en fallait pas
plus pour réconforter une maman en détresse.